Ça n'était pas prévu dans l'itinéraire initial qui suivait les fleuves pour que la route soit plate, mais comme nous ne pouvons aller ni en Allemagne ni en Autriche à cause des règles du covid, nous décidons de changer de cap, d'aller en Italie et pour cela impossible d'y échapper : il faut traverser les Alpes. C'est un vieux baroudeur de 60 ans rencontré au camping de Bad Zurzach, qui nous a indiqué l'itinéraire.


Il pleuvait beaucoup ce jour là, abrités sous la tente commune je prépare le dîner - des pâtes aux champignons - et Inès s'enquiert de l'état des règles sanitaires en Allemagne, le prochains pays de notre voyage. En France, les règles covid ne nous faisaient pas peur mais à l'étranger on voudrait profiter du pays qu'on traverse, et pour cela qu'il n'y ai pas de confinement. Hélas, Inès découvre qu'en Allemagne le protocole sanitaire est lourd et les règles de confinement trop strict pour permettre aux voyageurs de profiter du séjour.


On commence à réfléchir à des solutions. Aller en directement en Autriche rejoindre le Danube ? Mais l'Autriche impose une quarantaine de 10 jours - la Suisse aussi, mais on avait pas vu. C'est alors qu'un monsieur d'environ 60 ans, des lunettes de soleil sur le nez et des cheveux gris vient s'asseoir avec nous. Il portait une polaire quechua grise claire et il avait l'air de vouloir parler.

Je le salue en Anglais et il me répond - en anglais - intrigué par nos vélos bien chargés :

- Vous venez d'où en vélo comme ça ?

- On arrive de Paris. Et vous ?

- Je viens du canton des Grisons. Je suis dans le camping car là bas. Dites donc, en vélo depuis Paris c'est un long chemin ! Vous êtes passés par Bâle ?

- Oui, par Besançon, puis Mulhouse et Bâle. On est partis il y a 3 semaines.

- Et vous comptez aller jusqu'où ?

- Déjà jusqu'à Istanbul, puis jusqu'au Pacifique.

Il émet un petit sifflement.

- Vous suivez la route Atlantique-Mer noire ?

- C'est ce qu'on a fait jusqu'à présent, mais on vient de réaliser que l'Allemagne n'est pas encore ouverte aux touristes.

- Ah oui, l'Allemagne c'est pas bon pour les voyageurs en ce moment. Vous devrier passer par l'Italie. Vous descendez jusque dans les Pouilles, la route est magnifique.


Avec Inès on se regarde, l'idée nous a plu tout de suite. C'est vrai qu'avant de partir on avait hésité à passer par le sud de l'Europe, mais notre problème inavoué c'est le passage des Alpes. Le monsieur continue en sortant une carte de Suisse :

- Vous devriez traverser la montagne par le col du Gothard. D'ici vous allez à Zurich

- ça tombe bien, on va rendre visite à une copine à moi, se rejouit Inès.

- Puis de Zurich, vous pédaler à Altdorf et là vous grimpez le col. Ça monte jusqu'à 2106m et puis vous redescendez vers le Lago Maggiore, c'est magnifique.


L'épreuve est tentante. Après tout pourquoi pas ? On ne peut pas continuellement éviter les montagnes. Je crois qu'il fallait que quelqu'un nous suggère l'idée pour qu'on la considère vraiment.


- Après ne passez pas à Milan, c'est moche, mais continuez vers Venise puis vous longez la mer méditerranée jusqu'en Turquie. J'ai fait ça il y a quelques années en van avec ma femme.

Il réfléchi encore un peu et poursuit:

- Ou alors vous descendez toute la botte jusqu'à Bari, et vous prenez le ferry pour aller en Grèce. J'ai fait ça une fois avec un copain en vélo.

Il continue avec des idées pour le trajet jusqu'à Bari. Nous l'interrogeons alors sur ses voyages et il nous raconte ses voyages en Amérique du Sud et au Canada.


Quand j'ai eu fini de préparer le dîner, il est brusquement parti en disant : "C'était un plaisir de discuter avec vous! Je rentre dîner moi aussi, ma femme m'attend. Bon appétit"

En dînant l'idée fait son chemin dans nos têtes. Sur internet, Inès lit: "En mal de touristes, l'Italie allège ses conditions d'entrée".


N'est ce pas surprenant qu'au moment où on s'inquiète de notre itinéraire pour aller en Turquie, un inconnu arrive et nous en suggère un parfait ?

Vraiment dans ces campings on rencontre n'importe qui. Plus tard, je réalise qu'on ne connaît même pas son nom.


***


La traversé de la Suisse à été pluvieuse. Heureusement la soirée chez Megi et Julien fut un rayon de soleil. Julien nous a renseigné un peu sur le col : ouf, il ouvre tout juste en fin de semaine.


Arrivés à Altdorf jeudi après-midi, on commence à s'inquièter un peu. Jusqu'à présent, on n'en doutait pas, mais un col à 2016m d'altitude en vélo c'est quand même sportif, surtout avec des sacoches. Il y aura de la pluie, de la neige, du vent, et des montées bien raides... Ah les terrible montées qui usent tant Inès ! - Moi j'ai appris à faire du vélo en Haute Loire, où le plat n'existe pas. Là bas du "plat" c'est une "montée" en Creuse.


Les paysages Alpin vont être magnifiques mais arriverons nous à passer, malgré tout ces obstacles ?


***


Notre nuit jeudi soir chez Wysel nous réconforte. Dormir sous un toit nous permet d'être frais et dispo le lendemain.


Les 12 premiers kilomètres furent plats. S'en était presque frustrant et un peu inquiétant. Où est l'ascension tant attendue ? Le ciel aussi était menaçant. Il tombait quelques gouttes de temps en temps. Un cycliste nous rassure : "ça monte juste derrière le virage là, dans 500m." C'était 2 km, mais il avait raison: ça monte. On s'est lancé, impatients d'en découdre... Pour s'arrêter dix mètres plus loin et enlever des couches d'habit. Je ne sais plus si c'est l'effort, ou bien le soleil qui chassait les nuages qui nous donna chaud. On s'est arrêté trois ou quatre fois en dix minutes pour se changer, mettre de la crème, boire un peu. Un peu comme un étudiant en révision qui se trouve autant de prétextes pour ne pas s'y mettre.


Dans la montée je restais derrière Inès. Je précise qu'elle n'a pas voulu que je la décharge du moindre petit kilo de bagage. Je l'ai forcé à inspirer et expirer bruyamment, sinon elle fait son effort en apnée, ce qui est une bonne chose à la piscine - Inès est une nageuse hors pair - mais c'est très mauvais quand on fait du vélo.


Finalement on a pris un rythme assez régulier. On s'habitue vite la montée finalement. Une pause toutes les quinze minutes environs pour boire et manger quelques graines, profiter du paysage et consulter la carte de temps en temps. Les heures passent, on a déjeuné vite. Là encore la pluie menaçait, et dès qu'on cesse l'effort le froid monte rapidement.


Au village de Goeschenen vers 14h on rencontre un randonneur qui nous conseille de nous arrêter à Andermatt, dernière étape avant le col. "Il est toujours préférable de le passer vers 11h. En plus ils prévoient un grand soleil pour demain là haut". Je crois que de toute façon, nous nous serions arrêté à Andermatt car l'après-midi fut difficile. Un bout de la piste cyclable était partagé avec les voitures, le bruit était insupportable. Quand enfin, on a quitté le bout de route on était harassés psychologiquement. C'est deux autres cyclistes qui nous ont encouragés. On y est presque ! "Vous vous arrêtez aussi à Andermatt ? On s'y retrouve !" nous disent-ils en nous dépassant. Je précise qu'ils n'avaient pas de bagages.


On montait de plus en plus lentement, la fin était vraiment difficile. Enfin à 17h nous étions au "pont du diable" dont nous avait parlé Julien, et un peu plus haut, enfin Andermatt. Au camping les gens étaient surpris de voir une tente. Il faut dire que nous étions à 1447m d'altitude et qu'il y avait encore de la neige. Un couple de campeurs nous permet de coller notre tente à leur camping car pour nous protéger du vent.


Le lendemain on s'est réveillés sous la neige - mais dans les duvets et dans la tente il ne faisait pas si froid. Nos aimables voisins du camping car, entendant que nous sommes réveillés , nous appellent à travers la tente: "voulez vous venir petit déjeuner avec nous au chaud ?"


A 9h30 on est repartis, plein de confiance : la veille nous avions fait 1000m de dénivelé, il ne restait que 680m à faire jusqu'au col. Cette fois les efforts étaient plus condensés : moins de distance et plus de lacets. Les monts autour de nous était recouverts de neige, sur le bord de la route la neige était de plus en plus haute, le vent était de plus en plus froid. Comme la veille, sur la fin de la montée il me semblait qu'il était de plus en plus dur de monter. Inès très courageuse, ne parlait presque plus.


Enfin, sous un grand soleil éblouissant, nous sommes arrivés, quel soulagement ! Et brusquement quel froid ! Immédiatement il faut enfiler des affaires de ski.


Au village du col, beaucoup de gens sont montés en voiture pour faire de la luge sur les quelques pistes, il y avait aussi des motards mais nous n'avons croisé qu'un seul cycliste. On ne s'est pas attardés très longtemps car on est pas bien équipés pour ce froid.

Il y avait un stand de saucisse, j'en ai englouti une pour me réchauffer, et nous nous sommes lancés dans la descente... direction l'Italie, on a franchi les Alpes.


Jouissante expérience que le franchissement d'un col en vélo ! Admirer les paysages de montagne et sentir conditions météorologiques évoluer au fur et à mesure de l'ascension, et puis sentir la température de son corps chuter après l'effort et enfin la descente comme un rêve, un souvenir de l'ascension vécu à l'envers.