Le Kurdistan irakien, zone du monde "dans une boîte entre les nations" comme disait Emad, fut la grande découverte de notre voyage. À l'ouest la Syrie en guerre, au Nord la Turquie opprimant les Kurdes, au sud l'Irak qui leur refuse l'indépendance, et à l'est l'Iran.


À Zakho, nous avons dormi chez un chrétien Arménien et sa femme: "Brother Kaizak and Sister Nashwa", comme nous les appelions. Cette première rencontre nous a rassuré dans cette région encore totalement inconnue pour nous. Chez eux nous rencontrons Dan, un singapourien travaillant pour une ONG qui s'occupe de camps de réfugiés. Comme cette zone autonome est la plus développée et sécurisée de l'Irak, il y afflue de nombreux réfugiés Irakien. Dan et Kaizak nous rassurent : "Tant que vous ne quittez pas le Kurdistan vous ne craignez rien".


Brother Kaizak, Sister Nashwa et Dan

Le voyage jusqu'à Dohuk

Zakho, au nord de l'Irak, est séparé de Dohuk par une longue chaîne de montagnes. La route principale reliant ces deux villes, large et passante, traverse un tunnel sous ces hauts reliefs. Suivant notre habitude nous décidons de prendre la petite route sillonnant à travers les monts afin d'éviter cette autoroute. Mais un checkpoint de peshmergas, les soldats Kurdes assurant la sécurité de la région nous en interdit le passage. "On nous a signalé la présence de membres du PKK dans la montagne" nous indiquent-ils. Nous suivons donc l'autoroute en stoppant un pick-up pour nous faire passer le tunnel. Puis, pour rejoindre une petite route, nous traversons l'autoroute par le pont de l'échangeur, atteint en portant à bout de bras nos vélos dans la boue. Sur la petite route le temps est gris, une pluie fine commence à tomber et pas une seule voiture ne vient à passer. Des champs de terre humide et de cailloux à perte de vue, le coin est vraiment désert et on n'est pas vraiment de bonne humeur.


Enfin dans un petit village de maisons grises - du parpaing pas peint - nous rencontrons deux jeunes qui insistent pour nous offrir des biscuits. On avait prévu d'aller le plus vite possible jusqu'à Dohuk pour éviter de finir trempés mais on accepte de mauvaise grâce leur cadeau. Un homme passe, l'oncle d'un des deux garçons, et insiste pour qu'on vienne manger chez lui. Comme il est 15h, l'heure ni de déjeuner ni de dîner, on refuse en s'apprêtant à repartir. Mais la pluie s'intensifie et il devient impossible de refuser l'offre renouvelée.



Notre hôte s'appelle Basam. Arrivé chez lui, il nous présente sa famille et nous installe dans des coussins dans la grande salle familiale devant le poêle. Comme nous ne parlons pas la même langue, nous échangeons avec le traducteur de nos téléphones. Basam se montre familier avec nous. Son ton amical, son enthousiasme sur notre aventure, son rire arrivent à mettre un terme à notre mauvaise humeur. Nous passerons avec lui et sa famille - au sens large car il invite aussi ses frères et sœurs et leurs enfants - une joyeuse soirée. Cette deuxième rencontre au Kurdistan aura été déterminante pour nous faire sentir bien dans cette région.


Basam s'amuse avec son oiseau "Bulbul"


Noël à Dohuk

Nous passons Noël à Dohuk, à l'église saint Ith Llhaa où nous sommes installés dans une salle de catéchisme avec notre tente. Le 24 décembre nous déambulons dans les rues de Dohuk quand nous retrouvons par hasard Dan, Heidi et Rose en compagnie de Sofia et Alannah. Nous nous joignons à leur compagnie pour déjeuner tous ensemble. Pour le plus grand bonheur d'Inès nous allons voir au cinéma le tout nouveau Disney "Encanto". Enfin Sofia nous invite à fêter le réveillon chez elle en compagnie de quelques amis. Un Noël inhabituel, imprévu, merveilleux et magique grâce à Sofia.


Un réveillon magique chez Sofia


Une semaine chez les Gardi

De Dohuk à Erbil nous pédalons enfin dans de jolies routes dans la montagne. Nous apercevons des puits de pétrole qui brûlent de jour comme de nuit. Comme une bougie géante dans le noir, quelle splendeur cette lueur dans les ténèbres du soir. Chaque soir, nous rencontrons de généreuses personnes pour nous héberger.


À quelques kilomètres d'Erbil, sur l'invitation de nos hôtes nous restons chez eux une semaine. Les Gardi nous emmènent visiter Erbil, la montagne Korak et le Canyon de Rawanduz. Mais je pense que mon activité préférée fut simplement de vivre avec eux. Partager la vie de cette famille Kurde pendant une semaine a été un soulagement pour nos jambes, et surtout une belle expérience.


Visite des meilleurs coins d'Erbil avec Hassan et Ali


Quand nous n'étions pas en visite, j'accompagnais Hassan dans son travail à l'exploitation agricole. De son côté Inès restait à la maison avec les femmes et les enfants. Le soir, après le repas, je me joignais aux hommes du village (tous de la même famille) dans une grande tente au centre du village pour fumer la chicha et jouer aux dominos. De leur côté, les filles s'occupaient des enfants.


Inès s'occupe de Maten


Durant cette semaine nous avons fait trois allers-retours à Erbil pour nous rendre à l'ambassade Iranienne et mettre au point nos visas. Les horaires de cette institution n'étant pas clairement établis, les règles concernant le covid non plus, réussir à obtenir ce fichu visa ne fut pas une chose facile, mais nous y sommes parvenus !


Dîner chez les Gardi


La fracture

À la fin de la messe chez les dominicains de Erbil, Wafaa et son mari Amor nous invitent à déjeuner puis à dormir chez eux. Il font partie des nombreux chrétiens persécutés par Daech à avoir fui Mossoul pour s'installer ici à Ankawa, le quartier chrétiens d'Erbil. Leur histoire est poignante. Leurs mots sont durs contre les musulmans - même les Kurdes - et ils nous enjoignent à faire preuve de la plus grande méfiance envers eux. Je repense aux discussions politiques chez les Gardi. Pour les Kurdes, les ennemis ce sont les arabes. J'apprends avec Amor que pour les chrétiens, ce sont les musulmans.


Frère Sarmad, Amor et Wafaa


- "Maintenant que Daech est vaincu, pourquoi ne retournez vous pas à Mossoul ?" questionnais-je Amor.

- "Daech n'a pas disparu. Il se cache. Les combattants se sont simplement rasé la barbe et mis un jean. Mais il sont toujours là. Si je retourne à Mossoul, je risque la mort".

Je repense aux paroles de Emad : "Tu sais, ce serait plus dangereux pour moi que pour toi d'aller à Bagdad aujourd'hui. Je me ferais sans doute tuer". Ce soir là, nous prenons conscience de l'importance des fractures qui divisent les membres de ce pays.


La traversée des montagnes

Nous traversons des montagnes encore plus hautes d'Erbil jusqu'à Souleimaniye. La sortie d'Erbil, au milieu d'un trafic de voiture important, est rendue encore plus pénible par la pluie. Assez vite, nous quittons ces énormes routes qu'on évite difficilement au Kurdistan. Dans la montagne nous trouverons toujours des villages avec des bergers pour nous accueillir au chaud près du poêle.


Nous aidons notre hôte, Kaiwan, à rentrer son troupeau.


Enfin à Souleimaniye nous visitons la ville pendant deux jours, guidés par notre hôte Daniel.


Dans les rues de Souleimaniye


Notre test PCR en poche, nous fonçons en stop jusqu'à la frontière Iranienne.


Nous quittons le Kurdistan avec excitation. Ce pays aura été une de nos plus belles découvertes de notre aventure, sans doute la plus riche en rencontres et en émotions. Nous reviendrons.